Poignants, ces mémoires de pilote écrites à mi-vie le sont
pour mille raisons.
La toute
première, c’est qu’Udet peint les rapports humains avec acuité et sensibilité.
Qu’il s’agisse de collègues, d’officiers supérieurs, de parents ou d’amis,
hommes et femmes, ses semblables impriment en lui une marque profonde qu’il
restitue avec bonheur. Il livre aussi des traits saisissants sur les figures
historiques qu’il côtoie, comme Goering et Richthofen.
Pour tout
passionné d’aviation, l’ouvrage étreint le cœur. Car celui qui l’écrit est l’un
des plus grands génies du manche et du palonnier. Ce qu’il a fait en vol dépasse l’entendement.
Pour les sceptiques à la lecture, les films de ses acrobaties témoignent de ses
capacités.
Poignant, ce
petit livre l’est enfin car il nous
promène de monde en monde.
Il décrit la vie
d’escadrille, pendant la Première guerre, avec une lucidité dégagée de toute
emphase. Le style net et direct vous emmène sur ce terrain encerclé par l’orage de
l’artillerie, ou en pleine mêlée aérienne.
La permission en Bavière, au bras de l’aimée, paraît aussi irréelle à un
siècle de distance, qu’elle le fut pendant le conflit.
Une fois la
paix revenue, Udet bourlingue. On le retrouve en Argentine, en Afrique et au
Groenland pour le tournage de films, aux Etats-Unis pour des meetings
échevelés. Difficile de choisir des régions, des climats, des groupes humains
plus dissemblables que les sociétés traditionnelles eskimos, les tribus Ufiume
et le public texan.
Udet nous invite
à visiter le monde de l’Entre-deux guerres, marqué par les stigmates de la
Grande boucherie en Europe, l’insolente ascension des Etats-Unis et les
faux-semblants du colonialisme. Partout où il se rend, jusque dans les
villages les plus reculés, il rencontre
des hommes d’affaires douteux, des agents des grandes puissances, des
aventuriers improbables. Mais aussi une faune et une humanité qui ont disparu
depuis de la surface de la Terre.
La suite, c’est
l’Histoire qui la dicte. Udet revient dans une Allemagne transfigurée pour le
pire. Héros de la patrie, le voici instrument
du nouveau régime. Ses
compétences l’amènent à jouer un rôle majeur dans la reconstruction de
l’aviation allemande et sa transformation en une arme de conquête totale. Séduit comme tant d’autres, utilisé par
Goering avec qui il ne s’est pourtant jamais entendu, il ne perçoit
probablement pas toutes les conséquences de ses actes. Lorsque le rideau se déchire, la vérité est
insupportable. La santé d’Udet se dégrade rapidement. En 1941, il se tire une
balle dans la tête.
La postface de
Jürgen Thorwald est éclairante sur cette dernière période de la vie d’Udet.
Elle constitue également un témoignage de premier rang sur la renaissance de l’aviation allemande,
ses principaux acteurs et leurs rivalités, sur l’exercice du pouvoir au plus
haut niveau de l’appareil nazi et les incohérences industrielles qu’il
engendre. Thorwald est bien informé : avant de devenir un écrivain à
succès après la guerre, il a été un rouage fidèle du nouveau régime et le
propagandiste de la Luftwaffe sous son véritable nom, Heinz Bongartz.
L’ensemble est servi par une traduction remarquable de Jacques
Marc.
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