vendredi 21 décembre 2012

UDET Ernst, Ma vie, mes vols, Paris, Flammarion, 1955, 201 p.


Poignants, ces mémoires de pilote écrites à mi-vie le sont pour mille raisons.

      La toute première, c’est qu’Udet peint les rapports humains avec acuité et sensibilité. Qu’il s’agisse de collègues, d’officiers supérieurs, de parents ou d’amis, hommes et femmes, ses semblables impriment en lui une marque profonde qu’il restitue avec bonheur. Il livre aussi des traits saisissants sur les figures historiques qu’il côtoie, comme Goering et Richthofen.

      Pour tout passionné d’aviation, l’ouvrage étreint le cœur. Car celui qui l’écrit est l’un des plus grands génies du manche et du palonnier.  Ce qu’il a fait en vol dépasse l’entendement. Pour les sceptiques à la lecture, les films de ses acrobaties témoignent de ses capacités.

      Poignant, ce petit livre l’est enfin  car il nous promène de monde en monde.

      Il décrit la vie d’escadrille, pendant la Première guerre, avec une lucidité dégagée de toute emphase. Le style net et direct vous emmène  sur ce terrain encerclé par l’orage de l’artillerie, ou en pleine mêlée aérienne.  La permission en Bavière, au bras de l’aimée, paraît aussi irréelle à un siècle de distance, qu’elle le fut pendant le conflit.

        Une fois la paix revenue, Udet bourlingue. On le retrouve en Argentine, en Afrique et au Groenland pour le tournage de films, aux Etats-Unis pour des meetings échevelés. Difficile de choisir des régions, des climats, des groupes humains plus dissemblables que les sociétés traditionnelles eskimos, les tribus Ufiume et le public texan.

      Udet nous invite à visiter le monde de l’Entre-deux guerres, marqué par les stigmates de la Grande boucherie en Europe, l’insolente ascension des Etats-Unis et les faux-semblants du colonialisme. Partout où il se rend, jusque dans les villages  les plus reculés, il rencontre des hommes d’affaires douteux, des agents des grandes puissances, des aventuriers improbables. Mais aussi une faune et une humanité qui ont disparu depuis de la surface de la Terre.

      La suite, c’est l’Histoire qui la dicte. Udet revient dans une Allemagne transfigurée pour le pire. Héros de la patrie, le voici instrument  du nouveau régime.  Ses compétences l’amènent à jouer un rôle majeur dans la reconstruction de l’aviation allemande et sa transformation en une arme de conquête totale.  Séduit comme tant d’autres, utilisé par Goering avec qui il ne s’est pourtant jamais entendu, il ne perçoit probablement pas toutes les conséquences de ses actes.  Lorsque le rideau se déchire, la vérité est insupportable. La santé d’Udet se dégrade rapidement. En 1941, il se tire une balle dans la tête.

     La postface de Jürgen Thorwald est éclairante sur cette dernière période de la vie d’Udet. Elle constitue également un témoignage de premier rang  sur la renaissance de l’aviation allemande, ses principaux acteurs et leurs rivalités, sur l’exercice du pouvoir au plus haut niveau de l’appareil nazi et les incohérences industrielles qu’il engendre. Thorwald est bien informé : avant de devenir un écrivain à succès après la guerre, il a été un rouage fidèle du nouveau régime et le propagandiste de la Luftwaffe sous son véritable nom, Heinz Bongartz.

      L’ensemble est servi par une traduction remarquable de Jacques Marc.

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