samedi 13 avril 2013

Les métiers au coeur du village

    
Illustrations : Sophie Daxhelet

     Au cours de son Voyage au Congo, qui l'emmène pendant près d'un an en Afrique équatoriale, André Gide aborde un petit village dans la plaine du Chari, qui sépare le Tchad et le Cameroun. Nous sommes le 20 janvier 1927.

    Depuis six mois déjà, l'écrivain découvre les contrées les plus diverses et les moins accessibles, observe sans relâche habitants, coloniaux, faune, paysages et flore, chasse les papillons, tranche les différents, emprunte tous les moyens de locomotion à sa disposition. Surtout, il témoigne du régime parfois éclairé, souvent terrible, en vigueur dans les possessions francaises de cette région.

    Mais au fil de l'eau, des routes et des imprévus, surgissent de petits miracles. Ce village de Boingar en est un.

    " Quantités de métiers à tisser, note Gide, occupés le plus souvent par des enfants ". Enfants studieux qui contrastent avec les petits diables pleins de vie courant d'habitude vers les nouveaux arrivants. L'image est insolite et elle restera unique tout au long du périple.

     " Le métier est on ne peut plus simple, observe encore Gide. Deux pédales croisent les fils de la trame. Un peigne suspendu en travers de la bande retombe sur la chaîne après chaque passage de navette ". On se prend à rêver une fois encore d'utopie, d'économie locale, d'une organisation de la production adaptée aux ressources du village, de la liberté gagnée ainsi par ses habitants : des métiers à tisser tels qu'en rêvait le Mahatma Gandhi. L'image d'Epinal point sous les notes de voyage : " Beauté de ce tissage et même de la matière première indigène que rien ne vient adultérer. On suit la fabrication depuis le début. Aucune intervention extérieure. "



     Contrairement aux idées recues, l'économie textile locale n'a pas été anéantie par les importations. Pas encore. Des traditions très diversifiées demeurent dans la plus grande partie de l'Afrique équatoriale. Pourtant, Boingar apparaît déjà comme une survivance factice. L'écrivain remarque sept établis : " Sans doute l'administration exige-t-elle du village une certaine quantité de gabak* ". L'entreprise est fragile : " On parle de réformer cela. Pourquoi ? " Pire, ce travail heurte les usages locaux : il est " confié souvent à des captifs, nous dit-on, le travail " noble " étant celui des cultures et de l'élevage ". A des captifs ou à des enfants.




     En lisant ce récit touchant d'un monde qui n'est plus, on entrevoit des possibilités d'organisation collective qui, pour mille raisons, ne se sont pas réalisées. Cela ne veut pas dire qu'elles étaient dénuées de fondement. Peut-être devrons-nous les revoir à la lumière de notre siècle.


* étoffe de coton à usage funéraire à l'origine, parfois utilisée comme monnaie, produite au Tchad et au Nord-Cameroun jusqu'aux années 1950.
   

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